Adénome des corps ciliaire chez un coton de Tuléar
Une chienne stérilisée, coton de Tuléar de 5 ans est référée pour une déformation de l’iris de l’œil gauche évoluant depuis plusieurs semaines.
A l’examen à distance, une cécité unilatérale gauche est notée, aucune douleur n’est remarquée (pas de blépharospasme, épiphora ou démangeaisons).
L’examen rapproché de l’œil gauche révèle la présence d’un pannus cornéen en regard du canthus externe, une déformation néoplasique de l’iris est en appui contre l’endothélium cornéen. La pression oculaire est anormalement élevée (42mmmHg avec Tonovet® – 17mmHg pour l’œil adelphe). Ce glaucome est expliqué par la compression de l’angle irido-cornéen par la masse ainsi qu’une infiltration cellulaire de l’angle qui limite la filtration de l’humeur aqueuse.
Aspect normal de l’œil droit
Vue rapprochée de l’œil gauche, notez la déformation de l’iris et la taie cornéenne
Vue tangentielle de l’œil gauche, notez la déformation de l’iris qui rentre en contact avec l’endothélium cornéen
L’examen ophtalmoscopique indirect révèle la présence d’une excavation papillaire (nerf optique enfoncé) de l’œil gauche. Cet élément est facilement observable lorsque la papille du nerf optique paraît floue lorsque la zone du tapis est nette à l’observation directe ou indirecte de la rétine. Un décollement partiel de la rétine temporale est noté.
L’examen complet de l’œil droit est normal.
Une échographie oculaire est réalisée et révèle la présence d’une néoformation de sept millimètres de diamètre siégeant en regard de corps ciliaires de l’œil gauche. L’examen Doppler précise que cet élément est fortement vascularisé. Aucun envahissement rétro ou péri-orbitaire n’est noté.
L’œil droit est normal à l’échographie.
Echographie de l’œil gauche permettant d’apprécier la masse rétro-irienne de 7mm de diamètre
Echographie de la masse en mode Doppler
Une tumeur des corps ciliaires est fortement suspectée, l’énucléation est le seul recours pour stopper l’évolution de la masse et ses conséquences pour l’œil.
Aucun traitement supplémentaire n’est proposé. La chirurgie est programmée en accord avec le propriétaire la semaine suivante. Une histologie est réalisée sur le matériel d’exérèse.
Histologie
Aspect macroscopique de l’œil gauche après section, notez la déformation en arrière de l’iris
(cliché Orbio laboratoires)
L’histologie révèle une prolifération tumorale issue des corps ciliaires, non encapsulée, bien délimitée, micro-infiltrante. Elle est composée de cellules épithéliales, agencées en travées ou en structures tubuleuses, soutenues par un stroma collagène délicat, qui renferme de très nombreux mélanophages. Les cellules cubiques à prismatiques, de 15 à 35μm, possèdent un cytoplasme hyperacidophile. Les noyaux, le plus souvent basaux, ovales, possèdent une chromatine mottée et un ou deux nucléoles bien visibles. Quatre mitoses pour 10 champs à Gx400 sont observées et aucun embole sur les sections analysées n’est noté.
Vue microscopique (grossissement x25) de l’œil gauche, notez la déformation des corps ciliaires qui permet de comprendre l’impact sur l’ouverture de l’angle irido-cornéen (cliché Orbio laboratoires)
Travées et tubes de cellules tumorales, le stroma présentant d’assez nombreux agrégats de mélanophages (petits nids de cellules noires) (grossissement x20 cliché Orbio laboratoires)
Le décollement de la rétine, sub-total est également remarqué. La rétine montre également une perte totale des cellules de la couche nucléaire externe.
Conclusion
Il s’agît d’un adénome iridociliaire, sans embole sur les sections analysées. L’énucléation est curative dans le cadre de cette tumeur bénigne.
Discussion
Les tumeurs épithéliales représentent la seconde cause de tumeur oculaire primaire chez le chien [2]. Les tumeurs iridociliaires se développent à partir des cellules pigmentées ou non pigmentées de l’iris ou des corps ciliaires [3]. Les tumeurs primaires iridociliaires ont au moins une des caractéristiques suivantes :
- Une croissance non-invasive vers la partie aqueuse qui jouxte l’iris ou en direction des corps ciliaires
- La présence de cellules épithéliales pigmentées
- Des cellules qui présentent un épaississement de la membrane basale
Elles surviennent chez des chiens d’âge moyen (médiane = 9 ans dans l’étude de Dubielzig [2]). Cliniquement, ces tumeurs apparaissent comme segmentées ou non segmentées, solides ou papillaires, invasives ou non [1]. Les fréquences des adénomes (bénins) et des adénocarcinomes (potentiellement malins) sont équivalentes [2]. Les tumeurs combinées ont elles une fréquence moitié moindre de celle des mélanomes de l’iris [2]. Des cas de métastases à distances des adénocarcinomes des corps ciliaires sont rapportés bien que ce phénomène ne soit que très rare [3].
L’aspect clinique peut être confondu avec le mélanome, la différence entre les deux peut être délicate. Les tumeurs peuvent proliférer au travers de la pupille voire même envahir l’iris. Les adénomes sont souvent limités aux corps ciliaires alors que l’adénocarcinome est toujours plus invasif [1]. Une étude a décrit le cas d’un chien qui a développé une tumeur maligne à distance conjointement au développement d’une tumeur des corps ciliaires [2].
L’anatomopathologie démontre que ces tumeurs peuvent être papillaires, solides ou kystiques. Les adénomes sont caractérisés par des cellules épithéliales bien différenciées en travées ou tubulaires avec une tendance à former des structures adénoïdes renfermant des sécrétions éosinophiliques [1]. Les adénocarcinomes forment moins souvent de structures adénoïdes avec moins de sécrétions ; ils présentent également une plus grande variété d’aspects cellulaires avec de nombreuses figures de mitose. Aucun rapport n’a été mis en évidence entre l’aspect de ces cellules et le potentiel métastatique de ces tumeurs [2]. Alors que la moitié des tumeurs sont pigmentées histologiquement, leur aspect macroscopique semble souvent dépigmenté. L’envahissement de l’iris et de la sclère est variable. Les adénocarcinomes infiltrant la sclère présentent fréquemment des populations cellulaires anaplasiques [3] (l’anaplasie est la perte anormale de certains caractères de différenciation cellulaire). Il est commun de constater histologiquement la présence conjointe de membranes fibrovasculaires pré-iriennes, de détachements rétiniens, de hyalose astéroïde, d’hémorragies intra-oculaires et de signes de glaucome [2].
BIBLIOGRAPHIE
- Bellhorn RW. Ciliary body adenocarcinoma in the dog. J Am Vet Med Assoc 1971 ; 159 :1124-1128.
- Dubielzig RR, Steinberg H, Garvin H, Deehr AJ, Fischer B. Iridociliary epithelial tumors in 100 dogs and 17 cats : A morphological study. Vet Ophtalmol 1998 ; 1 : 223-231.
- Pfeiffer RL Jr. Ciliary body epithelial tumors. In : Pfeiffer RL JR, ed. Comparative Ophtalmic Pathology. Springfield, IL : Charles C. Thomas, 1983.