Définition de l’OCT
La tomographie est un procédé permettant d’obtenir une image en un seul plan d’un organe.
Mise au point dans les années 1990, la tomographie par cohérence optique (désignée sous l’acronyme anglais OCT « Optical Coherence Tomography ») est une technique non invasive d’imagerie de haute résolution qui utilise un principe d’interférométrie à basse cohérence pour fournir des coupes de structures tissulaires.
Une source lumineuse est dite cohérente quand elle peut engendrer des phénomènes d’interférence. Cette technique mesure la lumière réfléchie sur la structure analysée en la comparant à une lumière réfléchie sur un miroir de référence, la combinaison de ces deux signaux produisant un phénomène dit d’interférence.
L’intensité du signal dépend des propriétés optiques des tissus. A partir de cet enregistrement, l’appareil reconstruit une coupe sagittale de la structure analysée. Le principe de fonctionnement de l’OCT est similaire à celui de l’échographie avec l’émission par une diode d’un faisceau lumineux d’une longueur d’onde dans le proche infrarouge (au lieu des ultrasons dans l’échographie) et avec des niveaux de résolution longitudinale de l’ordre d’une dizaine de micromètres. Ces radiations, non ionisantes, n’endommagent pas les tissus. L’obtention d’une grande vitesse d’acquisition des images permet d’obtenir des coupes de cornée et de rétine d’excellence qualité. La taille des images est de 2.3 mm de profondeur par 5 mm de large.
A l’instar des sondes d’échographies, il existe plusieurs types d’OCT : TD-OCT (Time Domain), FD-OCT (Fourier Domain), SD-OCT (Spectral Domain), AS-OCT (Anterior Segment). L’OCT sera choisi selon la structure étudiée et le niveau de précision souhaité. Strom en 2016 a comparé le TD et FD-OCT avec l’échographie UBM sur la mesure cornéenne. [9] Les différents instruments n’ont pas les mêmes logiciels de compensation des erreurs [8], ainsi dans le cadre d’un suivi, il faut garder le même appareil, sous peine d’avoir des valeurs non reproductibles.
Réalisation de l’examen
L’examen est facile à réaliser et sans contact avec l’œil de l’animal. L’animal peut être examiné non endormi (maintenu par un assistant), après injection d’un sédatif ou anesthésié (particulièrement pour l’examen de la rétine). La tête doit être fixe et l’incidence du rayonnement doit être perpendiculaire à la structure étudiée.
L’objectif est placé à environ 10 mm de l’œil. L’acquisition des images est tellement rapide que les petits mouvements oculaires ne détériorent pas la qualité de l’image. L’appareil est à l’origine adapté à l’examen de la rétine. Pour celui-ci, la pupille est idéalement dilatée au préalable par l’instillation d’une goutte de tropicamide à 0.5% (Mydriaticum). L’examen cornéen nécessite la mise en place d’une lentille spéciale à l’extrémité de la source émettrice, permettant de focaliser le faisceau sur la cornée.
Examen complémentaire de choix dans la consultation ophtalmologique
En pratique courante, l’examen précis de la cornée et de l’iris se fait avec un biomicroscope et une lampe à fente, celui du fond d’œil avec un ophtalmoscope indirect ou un rétinographe. Cependant, ces techniques ne permettent pas une évaluation quantitative objective de la cornée et de la rétine.
Les techniques d’imagerie en ophtalmologie sont en permanente évolution et les avancées techniques permettent d’atteindre désormais une définition des structures oculaires comparables à celle de l’histopathologie. Ces nouvelles techniques sont la biomicroscopie ultrasonore (UBM), la microscopie confocale, et l’OCT.
Le biomicroscope à ultrason à haute fréquence (UBM) et le microscope confocal permettent un examen minutieux de la cornée. Ils nécessitent un contact direct avec la cornée et par là peuvent aggraver une lésion pré existante. De même, le contact avec la cornée peut modifier l’épaisseur épithéliale. La précision obtenue avec l’UBM est moindre qu’avec l’OCT. Les mesures sont également plus opérateur-dépendant que dans l’OCT. [1]
Apport de l’OCT dans l’étude du segment antérieur : cornée et angle irido cornéen
Cornée
L’OCT en pratique courante se révèle très intéressante pour l’étude de la cornée. Ainsi, Famose en 2014 publie un article sur l’apport de l’OCT sur les cornées normales et pathologiques chez le chien et le chat. [7] Des images sont réalisées pour des pathologies aussi variées que : ulcères cornéens ( superficiels ou profonds), uvéite antérieure, kératite bactérienne, séquestre cornéen, infiltrations, corps étranger cornéen, dystrophie stromale, kératopathie de Floride, hémorragie stromale, œdème cornéenne suite à un glaucome, kératopathie bulleuse ou encore des plaies cornéennes. Des images sur des cornées normales sont également réalisées sur des animaux anesthésiés pour des opérations de convenance. Il en ressort que l’OCT permet une évaluation précise de chaque structure de la cornée. L’épaisseur moyenne de la cornée est de 535 µm chez le chien et de 600µm chez le chat. Chez le chat, le stroma antérieur a une organisation plus hétérogène que le stroma postérieur.
Famose a publié le premier article sur l’utilisation de l’OCT dans une pratique clinique au sein d’une structure privée. Il en résulte un fabuleux recueil des multiples cas explorables et de la précision des images obtenues. Chaque couche cornéenne peut être évaluer quantitativement et qualitativement, in vivo en temps réel.
L’OCT est un examen de choix dans l’aide au choix d’une stratégie thérapeutique. Il permet de connaître avec précision l’épaisseur cornéenne, donnée indispensable avant de réaliser une chirurgie avec un laser ou un cross-linking.
Les seuls écueils ont été une épaisseur cornéenne trop importante, comme dans le cas d’œdème cornéen d’œil glaucomateux, ou lors de séquestre, qui forment des cônes d’ombres, empêchant de voir les structures profondes et ne permettant pas de quantifier la profondeur du séquestre. De même, les plaies cornéennes sont difficiles à visualiser dès qu’on est plus dans l’axe de la plaie, et l’œdème cornéen suite à la plaie est responsable d’images moins précises.
La dessiccation cornéenne doit être évitée, car elle est responsable d’une moindre qualité d’image. [8]L’humidification de la cornée est réalisée par des larmes artificielles. [7] Dans le cas contraire, l’épaisseur épithéliale diminue au cours de l’examen.
Vue macroscopique et OCT d’une rétine normale de chien
Alario a publié plusieurs études en 2013 [1] et 2014 [2] pour vérifier la reproductibilité intra et inter opérateur sur les mesures d’épaisseur cornéenne centrale, l’épaisseur épithéliale, et l’épaisseur non épithéliale. Il en ressort qu’aucun différence n’est constatée entre les mesures selon l’œil examiné, l’âge ou le sexe de l’animal. Il n’y a aucune différence significative entre les mesures répétées faite par le même opérateur mais une petite, mais néanmoins, significative différence entre les opérateurs pour la mesure l’épaisseur épithéliale. Cette différence, 0.6 µm, est négligeable cliniquement. L’OCT est un appareil avec une bonne fiabilité intra et inter observateur.
Dans l’étude de Strom, elle comparait l’épaisseur de la cornée centrale par 3 techniques : TD -OCT, FD-OCT et l’UBM. [9] Il en ressort que les valeurs obtenues par la TD-OCT et l’UBM sont significativement plus grandes que celle par le FD-OCT. Elle remarque que l’épaisseur augmente avec l’âge et le poids des chiens, et que les mâles ont une épaisseur cornéenne centrale plus importante que les femelles, en contradiction avec les résultats des études précédentes d’Alario.
Angle irido cornéen
L’examen de choix en médecine vétérinaire pour l’étude de l’angle irido cornéen est la gonioscopie. Cependant, l’examen ne permet que la visualisation en 2D de celui-ci. Le praticien peut estimer la distance entre l’iris et le trabéculum, et le relier à un risque relatif d’apparition d’un glaucome primaire à angle fermé. Le score est semi-quantitatif, allant de 0 (fermé) à 4 (ouvert), l’échelle utilisée étant identique chez l’homme et le chien.
L’examen le plus complet est l’histologie, mais ne permet pas de suivi dans notre pratique clinique. De plus, des artéfacts de préparation peuvent altérer les structures. L’OCT a l’avantage d’être un examen in vivo, où l’angle n’est pas abimé lors de la préparation.
Almazan a mesuré en 2013 trois paramètres : l’angle irido-cornéen (ACA), la distance entre la ligne perpendiculaire entre la limite de la membrane de Descemet et l’iris (AOD) et l’aire sous le triangle formé par la ligne AOD, la surface de l’iris et la ligne inférieure de la sclère (ARA). [3] Ces mesures ont été réalisés chez le chat, le chien, le cochon nain, le singe nocturne, le macaque crabier et le singe rhésus. Il en ressort que le chat et le singe nocturne, ces paramètres sont considérablement supérieurs aux autres races. Les valeurs de l’angle irido-cornéen et l’AOD sont trois fois supérieures chez le chien par rapport au chat. Il en résulte que le glaucome primaire à angle fermé est extrêmement rare chez le chat. La goniscopie permet l’évaluation de l’AOD, cependant l’ARA est une meilleure valeur prédictive de l’apparition de glaucome à angle fermé.
Actuellement, l’AS-OCT est l’examen de référence, le gold standard, au-delà de la goniscopie, pour l’étude de l’angle irido cornéen chez l’humain.
Apport de l’OCT dans l’étude du segment postérieur : rétine et papille
L’application initiale de l’OCT était, dans les années 1990, pour l’étude du segment postérieur chez l’homme. Ainsi, plusieurs pathologies étaient étudiées : l’œdème de la macula, les membranes épi rétiniennes, les tractions vitréo maculaires, les trous dans la macula, le liquide sous rétinien, les pertes des couches des photorécepteurs, les membranes choiroïdales néovasculaire,… L’épaisseur de la macula est très étudiée et fait l’objet de nombreuses publications.
En médecine vétérinaire, l’OCT du segment postérieur est réalisé pour les études expérimentales de glaucome, afin d’évaluer la répercussion sur la rétine et le nerf optique. [8]La seconde utilisation est dans l’étude du diagnostic et de l’efficacité thérapeutique sur les maladies rétiniennes génétique.
Chez le chat et le chien, la zone du tapis tapetum lucidum nécessite une adaptation du logiciel de traitement des images, en raison de la forte illumination. L’épaisseur rétinienne est supérieure dans la zone du tapis que dans la zone sans tapis.
Limite de l’OCT
L’examen doit être réalisé sur un œil immobile. Il peut être nécessaire de sédater, voire d’anesthésier l’animal pour l’examen. Ceci doit être discuté sur un animal âgé, avec d’autres pathologies concomitantes. Les images seront de mauvaise qualité sur des cornées très pigmentées, ou très épaissies (œdème suite à un glaucome, par exemple).
Les opacités dans le milieu, qu’elle soit sur la cornée, sur le cristallin, ou dans le vitré entraînent des artéfacts, ou empêchent de voir les structures .
La myopie et la longueur de l’axe du globe peuvent accentuer l’incidence des artéfacts en réduisant l’épaisseur des fibres nerveuses rétiniennes péripapillaires chez l’homme.[8]
A terme, chez l’homme, l’OCT sera combiné au microscope opératoire, afin de faciliter les chirurgies in vivo en temps direct. Par ailleurs, l’OCT pourra étudier les flux sanguins. Des modifications des débits sanguins rétiniens ou dans la choroïde sont impliquées dans différentes pathologies comme le glaucome, les rétinopathies diabétiques ou encore la dégénérescence maculaire liée à l’âge. Les OCT Doppler pourront en temps réel montrer la vascularisation rétinienne et quantifier le débit. Les yeux glaucomateux ont un débit significativement inférieur aux yeux normaux.
L’OCT est un examen fiable et reproductible permettant des perspectives très intéressantes dans l’étude des maladies oculaires, lors d’une consultation initiale, d’un bilan pré et post opératoire ou sur un suivi, et dans les recherches expérimentales. L’avantage majeur de l’OCT était de réaliser une « biopsie » non invasive in vivo.
Article rédigé par le Dr Laetitia Gaudin Stagiaire CES Ophtalmologie ENVT 2017
Bibliographie
[1] ALARIO, PIRIE – A spectral-domain optical coherence tomography device provides reliable corneal pachymetry measurements in canine eyes Vet rec 2013 Jun 8 ; 172 (23): 605
[2] ALARIO, PIRIE – Reliability of annual measurements of corneal thickness obtained from healthy canine eyes using spectral-domain optical coherence tomography (SD-OCT) Can j vet res 2014 Jul ; 78(3): 221-5
[3] ALMAZAN, TSAI, MILLER – Iridocorneal angle measurements in mammalian species : normative date by optical coherence tomography Vet ophtalmol 2013 Mar; 16(2): 163-6
[4] CHAUDIEU, MOLON-NOBLOT – Dystrophies et dégénérescences cornéennes Prat med chir anim cie, 1997, 103-111
[5] COOLEY, DICE – Corneal dystrophy in the dog and cat Vet clin north am small anim pract 1990 May ; 20(3) : 681-92
[6] DE GEYER – L’OCT, tomographie par cohérence optique, une nouvelle technique d’imagerie médicale, Pratiquevet (101), 2013, 42-45
[7] FAMOSE – Assessment of the use of spectral domain optical coherence tomography (SD-OCT) for evaluation of the healthy and pathological cornea in dogs and cats Vet ophtalmol 2014 Jan; 17(1): 12-22
[8] MCLELLAN, RASMUSSEN – Optical coherence tomography for the evaluation of retinal and optic nerve morphology in animal subjects : practical considerations Vet ophtalmol 2012 sep; 15 supp 2 : 13-28
[9] STROM, CRETES, RASMUSSEN – In vivo evaluation of the cornea and conjunctiva of the normal laboratory beagle using time and Fourier domain optical coherence tomography and ultrasound pachymetry Vet ophtalmol 2016 Jan ; 19(1) : 50-6