Décollements rétiniens et virus de la PIF, intérêts de la Tomographie en Cohérence Optique (OCT)
Introduction :
Les cécités d’origine rétiniennes sont fréquentes chez les carnivores domestiques, des causes infectieuses peuvent en être à l’origine. L’avancée des technologies d’imagerie et d’analyse permettent d’en assurer le diagnostic. Des avancées scientifiques permettent d’envisager plus sereinement la prise en charge médicale de certaines infections virales comme la PIF.
Commémoratifs :
Une chatte européenne stérilisée de 6 mois est référée pour des troubles visuels d’apparition récente (72h). Elle se cogne et a les pupilles dilatées en permanence. Une corticothérapie parentérale (Prednisolone – Microsolone® 1mg/kg) a été instaurée par le vétérinaire traitant.
L’examen général permet d’apprécier une hyperthermie (39.4°C) et d’une relative maigreur. Un historique de troubles digestifs est rapporté par la propriétaire.
L’examen oculaire à distance ne révèle aucun blépharospasme ni épiphora. La chatte ne parvient pas à s’orienter seule (en ambiance photopique puis scotopique). L’absence de réponse au test de clignement à la menace, du test du placé visuel et du suivi de la boule de coton permet de confirmer la cécité bilatérale. Une absence de réaction à l’éblouissement (Dazzle response) est également notée.
Les réflexes photomoteurs (directs et consensuels) sont absents. Une pupillométrie chromatique (Pupilscan SIEM Bio-médicale) est réalisée et ne permet pas d’apprécier de constriction pupillaire lors de stimulations chromatiques (bleue et rouge).
L’examen en lampe à fente (SL15 – Kowa) des yeux permet d’observer un dépôt rétrolenticulaire bilatéral. L’examen du segment antérieur est normal pour les deux yeux, absence d’effet Tyndall en chambre antérieure.
La pression intra-oculaire (Tonovet – Icare) est normale pour les deux yeux (à gauche PIO = 17 mmHg et à droite PIO = 13mmHg).
L’examen ophtalmoscopique indirect (Optibrand – Clearview) permet d’apprécier une modification bilatérale de l’aspect du fond d’oeil :
- déformation diffuse en relief dans la partie temporale de la zone du tapis de l’œil droit (en regard de l’area centralis)
- hémorragie périvasculaire rétinienne à gauche associée à des plages hyperréfléchissantes dans la zone du tapis.
- Augmentation de la turbidité du vitré (aspect flou)
- Aucun signe de névrite optique n’est noté.
Diagnostic différentiel :
A ce stade de l’examen plusieurs hypothèses se dégagent :
- Chorio-rétinite ayant entraîné un décollement rétinien séreux
- Néoplasie des voies optiques post-rétiniennes
- Syndrome de la rétine silencieuse (SARD), la présence de lésions rétiniennes et l’absence de descriptions cliniques chez le chat n’abonde pas dans ce sens
- Atrophie progressive de la rétine, l’aspect rapide de la survenue de la cécité, l’âge de l’animal ainsi que le nombre limité de lésions rend peu probable cette hypothèse.
L’origine inflammatoire est cohérente pour expliquer les lésions rétiniennes observées ainsi que les manifestations cliniques générales. Afin d’explorer la structure et la fonction de la rétine ainsi que l’origine étiologique de ce phénomène nous réalisons plusieurs examens :
Une analyse hémato-biochimique révèle la présence d’une leucocytose neutrophilique est associée à une anémie arégénérative. Le rapport Albumine/Globuline est inférieur à 0,8 ce qui abonde dans le sens d’une coronavirose.
Une échographie abdominale ’’fast’’ ne permet pas de détecter la présence d’ épanchement abdominal.
Une tomographie en cohérence optique (OCT Zeiss Primus) de la rétine permet d’apprécier de nombreuses zones ou la couche des photorécepteurs est décollée de l’épithélium pigmentaire ainsi que des zones ou l’EPR est lui-même décollé de la choroïde. L’atteinte est plus marquée à droite
Une électrorétinographie (ERG Metrovision – SIEM Biomédicale) permet d’apprécier une nette diminution de la fonction des cônes et des bâtonnets, de façon plus prononcée à droite. L’ERG est réalisé selon le protocole ISCEV et permet d’observer :
- Lors de stimulations de niveaux lumineux scotopiques en ambiance scotopique après 20 minutes d’adaptation à l’obscurité : diminution importante de l’onde b ce qui témoigne d’une altération du fonctionnement des batonnets.
- Lors de stimulations de niveaux lumineux photopiques en ambiance photopique: augmentation du temps de culmination et diminution marquée de l’amplitude de l’onde a et b. Le fonctionnement des cônes et bâtonnets est très altéré.
- Lors de stimulations flicker (saturation des batonnets) : les amplitudes de réponse sont fortement diminuées, le fonctionnement des cônes est donc très altéré.
Ces différents examens nous permettent donc de conclure à l’existence d’une choriorétinite bilatérale ayant entraîné un décollement rétinien. L’examen OCT a permis de déceler un décollement non visualisable à l’examen ophtalmoscopique indirect de l’oeil gauche.
Une paracentèse de la chambre postérieure permet de ponctionner du vitré qui est envoyé pour analyse PCR (Toxoplasma felis et Coronavirus).
Une injection intra-vitréenne de Triamcinolone (Kénacort 40 retard® 8mg/oeil) est enfin réalisée dans les deux yeux et le traitement corticoïde général est prolongé. La PCR Coronavirus sera positive avec un titre significatif sur le prélèvement envoyé.
L’état clinique de la chatte s’est rapidement dégradé 4 jours après l’intervention, une décision d’euthanasie a été prise par le vétérinaire traitant. L’examen nécropsique a été refusé par les propriétaires.
Discussion :
La péritonite infectieuse féline (PIF) est causée par un coronavirus et entraîne une anorexie progressive, une perte de poids, une fièvre intermittente voire des épanchements thoraciques et abdominaux en cas de PIF « humide ». Une uvéite antérieure et/ou une choriorétinite peut se développer éventuellement associée à des manifestations générales [1].
Le Coronavirus Entéritique Félin (FECV) se multiplie dans les cellules du système digestif, pouvant provoquer une diarrhée transitoire qui passe souvent inaperçue. Dans 5 à 10 % des cas, le virus entéritique mute en FIPV et déclenche alors une péritonite infectieuse féline.
Les conséquences oculaires sont plus souvent observées lors de PIF « sèche ». Les signes cliniques proviennent de réactions granulomateuses, de dépôts de complexes immuns de vascularites pyogranulomateuse [3]. Ceci entraîne une rupture de la barrière hémato-aqueuse oculaire et favorise l’exsudation de fibrine en chambre antérieure. La PIF peut également générer une choriorétinite pyogranulomateuse entraînant un décollement rétinien voire une névrite optique [1].
L’inflammation oculaire tend systématiquement à se généraliser en panuvéite ou panophtalmie. La sérologie consiste à détecter la présence d’anticorps et permet uniquement d’affirmer si le chat a été en contact avec le coronavirus sans présumer de son implication dans l’inflammation observée. Des études ont prouvé récemment que l’histologie était peu sensible pour mettre en évidence une PIF [3]. Les chats atteints sont en général de jeunes adultes (de 6 mois à 3 ans) en provenance d’élevages ou de refuges et présentent des épisodes d’hyperthermie cyclique ne répondant pas aux traitements antibiotiques. Les analyses sanguines révèlent souvent une leucocytose neutrophilique associée à une anémie arégénérative ainsi qu’une hyperprotéinémie et une diminution du rapport Albumine/Globuline [1].
Thérapeutique et perspectives
Jusqu’à présent, la seule option thérapeutique disponible était paliative et basée sur l’utilisation d’agents immunosuppresseurs et anti-inflammatoires mais n’offre que peu d’espoir quant à l’avenir des animaux atteints [1]. Cependant les récents travaux d’une équipe de l’universite de Davis a permis de mettre en évidence l’efficacité d’une thérapeutique antivirale basée sur l’utilisation d’une molécule analogue au nucléoside GS-441524 qui est précurseur de la molécule active (nucléoside triphosphate) qui permet d’atteindre l’ARN-polymerase du virus. Un essai clinique sur 10 chats atteints de PIF a permis de prouver l’efficacité (100% de résolution en deux semaines de traitement) sans qu’aucune toxicité n’ai pu être observée [2].
Conclusion :
La Péritonite infectieuse féline est une pathologie fréquente en clientèle et sa symptomatologie est pléiomorphe. Des lésions oculaires sont fréquemment associées. Le traitement avec l’analogue du nucléoside GS-441524 permet d’envisager une meilleure prise en charge de ces patients dont le pronostic vital est très souvent engagé.
Bibliographie :
- Gould D, Papasouliotis K. Chapter 6 Clinical Microbiology and Parasitology : Feline Coronavirus (FCoV). Veterinary Ophthalmology: Two Volume Set, 5th Edition 2013, 306-306.
- Murphy BG, Perron M, Murakami E, Bauer K, Park Y, Eckstrand C, Liepnieks M, Pedersen NC. The nucleoside analog GS-441524 strongly inhibits feline infectious peritonitis (FIP) virus in tissue culture and experimental cat infection studies. Veterinary Microbiology 219 (Juin 2018) 226–233.
- Ziółkowska N, Paździor-Czapula K, Lewczuk B, Mikulska-Skupień E, Przybylska-Gornowicz B, Kwiecińska K, Ziółkowski H. Feline Infectious Peritonitis: Immunohistochemical Features of Ocular Inflammation and the Distribution of Viral Antigens in Structures of the Eye. Veterinary Pathology 2017, Vol. 54(6) 933-944.